J'espère que ces trois billets vous auront un tant soit peu fait voyager dans cette ville étrange...
Je vous conseille de lire les deux autres billets sur Galik avant ce dernier, ou au minimum "Une nuit bien remplie".
Je vous conseille de lire les deux autres billets sur Galik avant ce dernier, ou au minimum "Une nuit bien remplie".
Retour au pays
La voile claque au dessus de sa tête, il hume les embruns. Il sent déjà l’odeur de la brume, de la tourbe, des marais.
Le navire craque sous ses pieds, ce fidèle ami qui l’a porté lui et ses frères de route pendant presque quatre ans. Il caresse fièrement le bastingage, bascule sa tête en arrière et ferme les yeux. Le froid soleil de Fria passe derrière la grand voile ; la lumière devient chaude, chamarrée, apaisante. Il remonte le col de son manteau, la fin du mois de Sue-Lan, ils reviennent à temps. Naviguer en hiver est un calvaire.
Les mouettes, il les entend. Elles sont autour du navire maintenant, comme pour leur souhaiter la bienvenue. Quatre ans ! Quatre ans sans revoir sa ville natale, Galik ! Quatre ans sans arpenter ses ruelles, sans s’assoir aux terrasses de tavernes, sur les places bondées du marché. Quatre ans à ne pas sentir l’odeur de la brume.
Quatre ans sans revoir sa femme et son fils.
Il était partit, comme beaucoup d’autres, chercher la fortune loin du pays. Comme beaucoup d’autres, il s’est rendu compte au bout d’un temps que la seule fortune qui importait réellement à ses yeux était son « chez lui », les rues familières, les statues qu’il connaissait par cœur, les gens débrouillards, la camaraderie, la solidarité, la vie dure des marais, même l’odeur âcre de la crème qu’on se met pour éloigner les insectes…
Il voit déjà la côte, d’un vert sombre parsemé de noir. Quelques navires de pêche viennent les saluer. Lui qui a voyagé de par l’empire, il revoit avec plaisir ces visages burinés, ces peaux sombre et ces rides profondes. L’accent du coin lui avait manqué aussi, cette manière de rouler les « r » avec le fond de la gorge, ces voyelles qu’on laisse sonner plus longtemps…
Il est de retour chez lui. Chargé de cadeaux pour sa famille est ses amis, riche d’expériences et d’aiglons, il est devenu second lorsque Ramez s’est fait empaler par un trident shahuagin, et même s’il prenait sa retraite maintenant (ce qui serait stupide à 30 ans à peine ), il pourrait vivoter grâce à sa pension, aussi bien celle de son grade que celle de ses récompenses honorifique que parce qu’il a perdu une jambe, deux doigts et un œil durant tous ses voyages…
Le port se dessine déjà, il voit les forêts de mâts, ces navires de toute les provenances qui le faisaient rêver quand il était môme. Il se souvient de ses promenades à la nuit tombante avec son paternel, le long des quais, quand les lampions colorés éclairaient les caisses de marchandise et les pontons de bois noir ; Son père connaissait tout le monde, il était docker, l’un des plus vieux du port, alors on prenait son « ch'tio » sur les genoux, on le jetait en l’air avec de grand rires, les mains calleuses des hommes de la mer et du port frottant sa tignasse.
Quand son paternel est mort, il n’avait que 17 ans, il venait de se marier, et il se souviendra toujours de la veillée funèbre, ou presque tout le port est passé dans la petite maison de pierre gardée par une gargouille en forme de lion pour chanter les louanges du paternel ; pour que le Grand Décideur l’accueille dignement. Il se souvient que les prêtres n’avaient pas eu à se faire prier bien longtemps pour que le paternel ne soit pas enterré, mais qu’un Rite des Eaux soit effectué ; même s’il n’avait pas disparu en mer ; Ils ont même fait semblant de rien voir quand les gars du port son allés sur l’eau, à l’endroit de l’immersion, que les Onan les ont rejoint et qu’il y ont fait brûler un navire, en chantant les litanies interdites, les vieux rites galiciens, sur le son des harpes et des tambours, les cors résonnaient dans tout les marais ; la ville était en deuil, même ceux qui ne le connaissaient pas avaient entendu parler du paternel, de Dzarick le quinzième, héros de la bataille des fosses, où il s’était battu au coté des Onan pour repousser les démons à l’ouest.
Il y avait perdu une jambe et la moitié du visage ; son oreille interne était complètement flinguée, il ne pouvait plus naviguer. Ça a été un choc. Pour tout le monde. Mais il s’est redressé, fier comme un coq noir, et il est resté au port. Condamné à être terrien, il avait le cœur lourd quand il voyait les mâts faire tomber les voiles pour partir en mer.
C’est pour lui que Dzarick (le seizième) est devenu marin, le vieux avait les larmes aux yeux quand son fiston a pris la mer la première fois, et ils étaient nombreux à assister au départ.
Perdu dans ses souvenir, il ne s’était même pas rendu compte qu’il étaient maintenant dans la baie, le capitaine Brezara le regarde d’un œil amusé en tirant de longue bouffées sur sa pipe de cèdre ; il attends que son second prenne en main les manœuvres d’accostage.
Pendant les manœuvres, il contemple sa ville ; il a vu Arianaka, Rindirath, Malokaya; il a fait partie de l’expédition de sauvetage de l’archipel des Maures, il a vu des îles qui n’étaient pas sur les cartes, a affronté d’étranges créatures, des tempêtes, des créatures venues des fonds obscurs de l’océan ; il a vu cent mille merveilles, toutes plus impressionnantes et inénarrable que les autres, il a vu les cavalier d’Arkos et des îles qui n’étaient que des carapaces de tortue géantes, les légendaires Zaratan… Mais de revoir sa ville, là était ce qui lui serrait le plus le cœur, revoir sa famille, ses vieux amis, aller boire une bière de blé noir à la taverne de Ranir, parcourir le vieux quartier en essayant de comprendre les changements, de retrouver les vieilles statues de sa jeunesse… ça vaut toutes les merveilles de ses voyages.
Lorsqu’il prend pied sur le port, une fois les ordres donné pour décharger les marchandises, son capitaine lui donne quartier libre, il dit qu’il se chargera de tout le reste ; il sait que Dzarick veut revoir sa famille ; Le capitaine Brezara, un maurille vigoureux au caractère de cochon et au cœur d’or, une légende.
Le navire avait prévenu de son arrivé par oiseau ; Il espérait voire sa femme et son fils sur le quai, mais le damné piaf a du se paumer en route. Pas de comité d’accueil. Il comprends les paroles de Brezara quand un soir de tempête au large de la côte ouest de Jowkwi, , ils avaient longuement discuté dans sa cabine…
« Je te comprends fiston, avoir une famille, c’est sans doute fabuleux, savoir que quelqu’un t’attend dans une petite maison douillette. Si ça te conviens, tu seras un homme heureux. Mais quand on est maurille, on oublie tout ça ; c’est la mer qui sera ta seule famille, et ton navire ta seule femme. J’ai vu trop d’hommes et de femmes s’effondrer une fois à quai en apprenant les nouvelles de ceux qu’ils avaient laissés ; morts, partis, remariés, complètement changés… ça occupe l’esprit et ça donne l’espoir les soirs de solitude ; mais le remède est parfois pire que le mal. Tu vis des choses quand tu es en mer, qu’un terrien peut pas comprendre, et sur terre, les problèmes et la vie ne sont pas les même, et ça non plus tu peux pas comprendre. C’est vivre deux vie, et ça, c’est pas le cycle, tu dois vivre pleinement chaque instant de ton incarnation, c’est les préceptes du vieux Wu-Kauln, si tu veux une autre vie, attends la suivante tout simplement, mais cherches pas à tout contrôler.
Mais je deviens vieux et chieur quand j’ai bu un coup. Oublies ça, va, te mine pas. Vis comme tu l’entends et sois heureux, c’est tout, on va peut-être tous aller rendre visite à Sue-Lan en disant bonjour à Kwunn au passage cette nuit, ou peut-être pas. Chéris donc ta femme, ton môme même s’ils sont loin, ils pensent sûrement à toi. On a tous besoin d’un phare fiston, et tous ne sont pas de briques et de flammes. »
« Oublies ça » Dzarick avait opiné de la tête en souriant, mais il ne l’avait jamais oublié ; et en ce jour de liesse, il se souvenait toujours de cette soirée ; de ces paroles. Il prit machinalement le chemin de la taverne, il était encore tôt et il avait besoin de prendre le contact du sol, de ressentir l’ambiance de sa ville. Il n’osait pas se l’avouer, mais il avait peur de rentrer chez lui, il a peur de ne pas se sentir chez lui, et il a peur de la réaction des siens face à ses mutilations. Lui qui avait rêvé de rentrer de manière triomphale dans sa maison, de poser son chapeau sur la gargouille et de rentrer en criant « devinez qui est là ! » en déballant ses cadeaux, ses soieries, ses bijoux, jouets, livres, objets magiques divers ; il aurait pu raconter ses aventures pendant des heures sous l’œil amoureux de sa femme et les yeux pleins d’étoile de son fils… Son fils. Il avait neuf ans quand il est partit. Il doit en avoir presque quatorze aujourd’hui. Il ne sait pas s’il va le reconnaître. Il a envoyé des lettres pendant ses voyages. Il ne sait pas lesquelles sont arrivées, si une seule est arrivée… il n’attendait pas de réponse, il n’avait pas vraiment d’adresse fixe.
Il se rappelait toujours les paroles de Brezara…
Dzarick traversait le port en regardant tout autour de lui. Galik. Toujours la même ; les gens emmitouflés dans leur manteaux, les Onans recouverts de fourrures, se déplaçant plus lentement qu’à l’ordinaire. Les vieux bâtiments de pierre noire et blanche, imposants et splendides, aux gargouilles gothiques, se moquant des passants. La neige sur le toit des maisons et les gens qui balaient devant leur porte.
Il croise des gens qu’il connait, mais eux ne le reconnaissent pas, avec son œil couleur améthyste qu’il s’est payé à Malokaya, sa jambe artificielle articulée, elle aussi enchantée, ses riches vêtement de second et sa démarche conquérante… il ne les salue pas, il se contente de sourire, parfois il hoche la tête lorsque quelqu’un le regarde l’air intrigués ; ils doivent se dire « mais où l’ais-je déjà vu ? » ; Dzarick rit sous cape (en fourrure de renard des neiges), il est d’un naturel modeste, mais face à une telle situation, quel homme ne se laisserait pas aller à un peu de forfanterie ?
Après avoir arpenté la place des victoires où un bal se prépare, il arrive enfin à la taverne de Ranir ; cet établissement où lui et ses vieux amis avaient passé tant d’heures ensemble ; à rire jusqu’après la fermeture, à raconter des légendes et parler de filles.
C’est en brassant tout ces souvenirs que Dzarick passe enfin la porte de la taverne.
Rien n’a changé ; le vieux chêne au milieu de la terrasse surélevée, les tables pierre brutes et les vieux bancs de bois, où des noms y sont gravés au couteau depuis des générations.
Il n’y a personne en terrasse. Normal par une telle température, ils sont tous à l’intérieur, près de la cheminée ou du poêle.
L’ambiance est ici la même, sous les voûtes de pierre, les divers braseros réchauffent la pièce en rendant une lumière vacillante, les rires et la fumée emplissent la salle, soutenue par des piliers massifs sur lesquels de vieux chandeliers en fer forgés portent des chandelles agonisantes.
Tout y est, les vieux tonneaux, les fleurs séchées pendues au plafond, les victuailles derrière le bar, les habitués, qui ont tous plus ou moins pris un coup de vieux. Il y a des nouveaux bien sûr, mais ils font couleur ambiante. Près de l’immense cheminée où deux porcs des marais sont en train de rôtir, on a déposé les manteaux et les bottes afin de les faire sécher.
Il y a bien une quarantaine de clients, qui prennent leur repas sur les tables bancales de la taverne.
Ranir est derrière le comptoir, toujours le même, à part une ou deux rides de ci de-là et quelques mèches blanches. Il met un tonneau en perse, de la Galiçoise, la bonne bière des marais ; quelques Onan discutent près de la cheminée, l’un d’entre eux a un marmot sur les genoux, un marmot humain, on a jamais vu de chtio Onan. Le gamin doit avoir quatre ou cinq ans, et il s’amuse à enlever les écailles de l’homme-lézards, celle de son ancienne peau, qu’il est en train de changer pour mieux supporter l’hiver. C’est toujours touchant de voir la patience qu’ils ont, surtout avec les mômes. N’importe quelque Arianith qui se pointerait dans le coin serait surpris, voire horrifié, un Onan de cette taille peut broyer un crâne humain avec trois doigts, et ces griffes sont suffisamment tranchantes et solides pour déchirer une armure d’acier bleu. Mais ici, personne n’a peur. Les Onans vivent avec nous depuis tellement longtemps qu’ils sont des Galiciens comme les autres, et on sait tous à quel point ils sont indispensable, surtout ici, dans les marais d’Enfosse...
Les yeux de Dzarick parcourent la salle, il les connait presque tous, quand ses yeux croisent ceux de Ranir, il se rend compte que se dernier le regarde depuis quelques moments déjà, il sent que ce dernier cherche à le reconnaitre ; Dzarick sourit alors, et le visage du vieux tavernier s’illumine quelques secondes, mais reprends presque immédiatement un air grave, il n’a pas le temps de dire quoi que ce soit, un greffier vient lui parler, sans doutes pour régler l’administratif du mois.
Dzarick ne relève pas vraiment l’air contrit du vieux tavernier, il pense que c’est en rapport avec ses cicatrices, ses doigts qui manquent et sa jambe.
Il se dirige mécaniquement vers le fond de la salle, à coté du poêle en fonte, et y retrouve une table, une tablée qu’il connaît très bien.
Ils sont tous là. Ravaro, le joli cœur, qui porte maintenant une alliance et qui doit avoir reprit la boutique de vêtements de son père, il porte le signe de Kwa-Lunn, il s’est engagé dans les ordres, comme sa mère… La déesse des artisans, un bon choix dans le coin.
Il y a Amerion, le fort en gueule, qui porte l’uniforme de l’épée rouge, il s’est donc finalement engagé… Il a une belle cuirasse, qui arbore une G sur la poitrine, avec une tête d’éléphant. A-t-il déjà vu un éléphant ? Dzarick en a vu, lui….
Vargien est là aussi, le métis, moitié Oblivien, moitié Galicien, un vrai renard, toujours dans les coups tordus ; il porte une armure de cuir cloutée, deux cimeterre et s’est fait tatouer la gueule. Un ange noir, aux ailes de métal, l’ange de métal, la bande de voleur qui squatte le cimetière. Pas surprenant se dit-il.
Et enfin Varsha, l’amazone, une tigresse du désert d’Irposion, qu’est arrivée à Galik quand elle avait neuf ans. Une marchande, une guerrière.
Il s’assoit à leur table, sur sa chaise, qui est vide (ça lui fait chaud au cœur), ils le regardent d’un air surpris, prêts à lui gueuler dessus, mais c’est Vargien qui le reconnais en premie.
« Dzarick ! Par les dieux ! J’en reviens pas ! T’es de retour ! Ha ha ! wouhouu ! Ça fait un sacré bail ! »
Les visages s’illuminent tout autour de la table, l’euphorie est là ! Ils se jettent dans les bras les uns les autres, et parlent ensemble à toute vitesse… Ils regardent ses cicatrices, mi-gênés, mi-curieux. Ils contemplent ses vêtements, ses bijoux, sa carrure (des années en mer, ça forge un corps)… ils le harcèlent de question « t’es revenu depuis quand ? » « T’es allé ou ? » « T’as vu des sahuagins ? » « T’as affronté des pirates ? » « Comment t’as perdu ton œil ? »… Dzarick ne parvient pas à répondre à tout à la fois, il a les larmes aux yeux et les mots se bousculent dans sa bouche. Après quelques minutes où la conversation file tellement vite qu’il est difficile de la suivre, les bouches se taisent, et les vieux amis se contemplent avec un sourire béat.
Dzarick finit enfin par prendre la parole :
« J’avais besoin de repasser par ici avant de rentrer à la maison, histoire de se remettre les idées en place avant d’aller embrasser Julie et Dzarick… ça me fait tellement plaisir de vous revoir, qu’est-ce que vous devenez ? »
A ces mots, ses vieux amis se figent, comme terrifiés. L’affliction se lit sur leur visage. Ravaro regarde son verre, Amerion ses chaussures, Vargien essaye visiblement de préparer quelque chose à dire. C’est Varsha qui prends la parole, elle na pas quitté les yeux de Dzarick et a l’air si triste que l’on croirait qu’elle va pleurer.
« Dzarick, il faut qu’on te dise, je… Je ne sais pas trop comment te dire ça mais… de grands malheurs sont arrivés… »
Il comprend subitement. Il comprend pourquoi il n’y avait personne à l’embarcadère, alors que certains marins enlaçaient leur femmes, il comprend pourquoi personne ne lui a adressé la parole dans la rue, il pensait qu’on ne le reconnaissait pas ; mais comment ne pas le reconnaitre ? Il comprend l’air grave de Ranir, et cette sensation de froid quand il a prit pied sur le ponton. Il met un certain temps à réagir, il se rend compte qu’il a eu une absence, qu’il doit toujours arborer un sourire béat. Quand il revient à lui, ce sont des larmes qui coulent silencieusement sur sa joue balafrée, et pas de joie cette fois.
« Qu’est ce qui s’est passé ? »
Ils hésitent. Ils ne savent par où commencer, ils ne savent pas comment leur vieil ami va encaisser le choc. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que dans le cœur du marin, les paroles de son capitaine résonnent de plus en plus fort. Il sent le malheur, il le palpe, il sait qu’ils sont morts, il accuse le coup. Il en pleurera, il se saoulera à la mort, il frappera les murs et maudira les dieux, mais il tiendra, c’est un homme de la mer maintenant ; forgé par l’écume et le vent. Par vents et marrées, il tiendra. Comme un récif au milieu de la tourmente. C’est ce qu’il se répète. Il attend. Il veut savoir. Il n’a pas peur.
Il n'a pas peur, non, c'est au delà de ça : il est terrorisé.
Après s’être regardés, ses amis le tiennent par la main, et c’est Ravaro qui lui explique :
« C’était il y a trois ans ; un hiver très rude. Ça encore, ça allait, tu vois, on connait le froid mordant des marais… Sauf que cette année là, il y a eu pire. On sait pas trop comment c’est venu, beaucoup pensent que c’est un coup des nécromants, mais la peste, vieux frère, la peste a ravagé la ville. »
Amerion poursuit :
« Les prêtres étaient débordés, je le sais, j’étais initié, on soignait les gens, mais dans les jours qui suivaient ils retombaient malades. On a fait appel à Arianaka, on a eu des renforts, des fils d’Arian sont venus, des prêtres, des pèlerins de l’ouest également, les Onans ont fait ce qu’ils ont pu, à base d’herbes, de plantes enfin, je te passe les détails. Ce fut une hécatombe… Et Julie… ont passait la voir régulièrement avec les autres, elle supportait plutôt pas mal. J’avais réservé des potions et des baumes spécialement pour elle mais… elle a eu une foudroyante… en une douzaine d’heure… On n’a rien pu faire. Je suis arrivé en catastrophe, prévenu par… par ton fils, mais je n’avais rien, tout les stocks étaient vide, j’ai envoyé un messager prévenir mes supérieurs, mais c’était trop tard ; quand ils sont arrivés, j’avais donné les derniers sacrements. Elle est partie sans douleurs si ça peut te… enfin, j’avais juste de quoi soulager sa souffrance. Ses dernières pensées étaient pour toi. Je… je suis désolé ami, je ne vois pas quoi dire d’autre. »
Dzarick se tait. Il n’a rien à dire. C’est toujours étrange de voir un homme pleurer. Le désespoir vous ravage un homme. Ses amis respectent son silence et sa douleur, ils le tiennent par les épaules. Les autres clients les regardent, beaucoup on compris, ils ont reconnu Dzarick le seizième, et respectent sa douleur comme si c’était la leur. C’est ça Galik, chacun souffre par sympathie. Tous dans le même marais, tous égaux dans la douleur.
Il finit par respirer un grand coup. Ça fait trois ans. Il vient de l’apprendre et ça fait trois ans. Toutes ces putains de légendes où les amants, séparés par des milliers de kilomètres, « savent » quand quelque chose ne va pas, il se dit que c’est de la belle connerie.
« Et Dzarick ? Il est… il est mort aussi, n’est-ce pas ? Lui aussi ? Mon fils ? »
Cette fois, c’est Vargien qui prend la parole.
« Oui, seizième, il est mort aussi. Ce n’est pas la peste qui l’a tué. Il est mort il y a… quelques jours. La veille de la fête des bougies. Je l’ai su le lendemain car je l’attendais. Je dois te dire une chose : Lorsque que Julie est morte, ton fils était dévasté. Il a tout lâché, il n’a rien voulu savoir, il s’est enfuit. On l’a cherché pendant des semaines. Le fait est que des amis à moi l’on retrouvé, il vivait dans les souterrains. Il n’a jamais plus voulu de maison, de famille. On lui a tous proposé de venir vivre chez nous, on pouvait s’occuper de lui jusqu’à ton retour. Mais il ne voulait plus de famille, son père était partit, et il avait entendu trop d’histoire où les pères ne revenaient pas ; sa mère morte, c’en était trop pour lui. Alors il est devenu un gamin des rues. Il était en danger, Dzarick, alors j’ai fait la seule chose que je pouvais faire pour le protéger, je l’ai fait rentrer chez les Anges. C’était le seul moyen. C’était un très bon élément. Réglo, respectueux, talentueux. Il serait devenu quelqu’un de bien. Mais cette nuit là –il était en mission- il a fait une mauvaise rencontre… un mort, un… vampire… il l’a prit pendant son sommeil.
Dzarick commençait à ressentir une profonde colère
-Mon fils s’est fait tuer par un de vampire ?
Il sentit une main sur son épaule
-Pas tué, Dzarick, pas vraiment. Il s’est fait… changer. »
C’était Ranir. Il était arrivé à leur table et d’une main paternelle couvrait la puissante épaule du fils de l’un de ses meilleurs amis.
C’en était trop. Tout simplement trop, Dzarick balbutia quelques mots avant de se lever. Ses amis se lèvent pour le suivre, il leur fait signe de rester. Il ne peut pas parler, il ne le veut pas.
Il quitte la taverne, chancelant, et après quelques pas, vomit sur le pavé.
Il ne voit plus rien tant les larmes brouillent ses yeux, il erre dans les rues, court parfois, s’assied sur une caisse au port pour pleurer.
Ses amis l’ont suivi. De loin. Ils croisent le capitaine Brezara, et lui expliquent tout. Le vieil homme verse une larme pour son second. Il va s’assoir à quelques mètres, tirant sur sa pipe, et surveillant son ami du coin de l’œil.
Ses amis s’approchent de lui. Ils s’accroupissent à ses cotés. Tout contre lui ; ils ne savent pas quoi dire. Il n’y a rien à dire.
Au bout d’une trentaine de minutes, les sanglots se font moins fréquents ; et c’est d’une voix brisée qu’il demande à Vargien :
« Son nom.
-A qui Dzarick ?
-Son putain de nom !
-Je ne sais pas… mais je le saurais, si tu me laisse un peu de temps.
-Je vais le renvoyer faire dire bonjour aux profondeurs… vous m’entendez ? Il sanglote. Je vais le retrouver ce putain de mort-vivant, je vais lui arracher le cœur avec mes mains… Lui arracher son putain de cœur avec les mains ! »
Alors que les cris du père résonnent encore sur l'eau des quais, Vargien regarde ses amis, il attend l’assentiment qu’il tient déjà pour acquis. Une fois que chacun d’entre eux a hoché la tête, il part. Il sait qui contacter. Il connaitra le nom du vampire avant la nuit suivante.
Bereza regarde l’océan devant lui, il voit son navire à quelques mètres. Il est intriguant de voir que dans son délire, Dzarick a retrouvé son chemin jusque devant son bateau.
Il sait ce qu’il va se passer ensuite. Il le sait, il a vu trop d’hommes et de femmes s’effondrer une fois à quai en apprenant les nouvelles de ceux qu’ils avaient laissés… il saisit un lampion et en souffle la bougie.
« Un marin est mort. Un tueur est né. »
Derrière eux, sur la place des victoires, les premiers accords de musiques résonnent, et le bal commence. Chacun des danseurs sent le deuil, et chacun d’entre eux regarde la mer. Ils souffrent, ils souffrent par sympathie ; mais ils ressentent la colère également, et la respectent comme si c’était la leur. C’est ça Galik, chacun éprouve par sympathie. Tous dans le même marais, tous égaux dans la rage.
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