lundi 7 janvier 2013

Alaric


Ce texte ne se rapporte à aucun jeu, c'est de l'écriture pour le plaisir d'écrire. j'avais dans l'idée de commencer un roman, ou au moins une bonne nouvelle, lorsque j'ai écris ces lignes. Cela doit faire des mois, peut-être même un an, que je n'y ai pas retouché; il me faudrait le retravailler, réécrire, et surtout, continuer. Ce n'est pas encore d'actualité, mais cela viendra un jour, certaines choses ont besoin de mûrir...



Chapitre I

Alaric.
Tel était son nom.
Son chemin n'avait pas de but, et qui se souciait de son point de départ ? Il n'était qu'un homme, disent certains. D'autres se réservaient pour plus tard le droit d'en juger.
On le voyait parfois traverser les bourgade, massif cavalier, couvert de métal de et de fourrure. Qu'il vente ou qu'il pleuve il avançait sans hâte. Ses haches cliquetaient au rythme du pas tranquille et lourd de son destrier.
On ne voyait guère son visage, caché par un casque de fer, une solide nasale en son milieu, et des cercles de métal autour des yeux ; ce couver-chef lui donnait un air sinistre; mais il lui avait mainte fois sauvé la vie.

Alaric ne se souciait guère de la méfiance et de la peur qu'il inspirait aux brave gens qu'il croisait. Il ne cherchait pas à se faire aimer du peuple. A vrai dire, plus il était en paix, mieux cela valait. Il s'arrêtait lorsqu'il arrivait dans un hameau plus grand que la moyenne, allait s'installer dans l'auberge qui lui semblait la plus accueillante, et s'asseyait à une table.
Il ôtait alors son casque, dévoilant un visage dur mais non dénué de beauté, de longs cheveux châtains qui manquaient de soins, et une barbe fournie taillée avec les moyens du bord, chataîn elle aussi avec des reflets auburn.
Ses yeux d'un vert très sombre se tournaient alors vers son hôte et il commandait à boire et à manger.

Il n'était pas de mauvaise compagnie. En vérité il pouvait même être un voisin de table agréable. Il avait vu du pays, connaissait l'histoire et la philosophie, il avait parcouru plusieurs royaume et en connaissait la langue et la courtoisie; il aurait pu être, en fait, un bon gentilhomme. Pour avoir passé maintes soirées en sa compagnie, je peux même vous dire qu'il était charmant, sa voix apaisante, et sa discussion passionnante.

Mais les gens n'allaient pas lui parler. Et lui n'allait pas vers eux. Pensez donc, qui était-il ? Un déserteur ? Un mercenaire ? Un tueur à gage ? Un chasseur de prime ? Il ne disait rien, alors les gens imaginaient. Ils se racontaient des histoires, tremblaient cachés derrière leur chopines et les épaules de leurs compères en se chuchotant ce qu'ils fabulaient. Vous connaissez la méfiance des braves gens de nos jours, face à un étranger ainsi harnaché pour la guerre. Les braves gens en ont assez des batailles, ils en ont assez de la mort et de ses messagers.
Alors il demeurait seul, regardant par la fenêtre le temps qui s'écoule en buvant et en mangeant. Parfois il ouvrait un livre, ce qui ne manquait pas d'intriguer encore plus les braves gens; et ils inventaient de nouvelles histoires. Sacrés braves gens… Mieux vêtu, il aurait pu être un bel homme, mais le pratique l'emportait sur l'esthétique. "Barbare" disaient certains. "Seigneur de guerre" disaient d'autres. "Etranger" surtout. Et là tous étaient d'accord.
Alaric était un étranger. Où qu'il aille.

Lorsqu'il me parlait de sa patrie, de sa jeunesse, je pouvais voir ses yeux briller. Ils étaient humides, il refoulait ses larmes. Voyez-vous, Alaric n'était pas un jeune homme, son pays n'existait plus depuis longtemps, et la plupart l'avaient oublié. Une partie avait été annexée par un royaume voisin, une autre prise dans les glaces lors du Grand Froid, une autre était devenue si aride et stérile que tous avaient fui. Un étranger, un étranger sans provenance, sans maison. Un apatride.
Il avait une famille, cela il me l'a confié. Il en a revu pendant sa vie, quelques-uns des membres, mais il n'est pas resté ; et eux ne restaient pas en place non plus. Où qu'ils aillent, ils étaient des étrangers, des étrangers silencieux qui pleuraient une lointaine gloire passée, la gloire des Alukars.
Il m'a amenée "chez lui " un jour, alors que nous voyagions. Un début d'après midi il s'est arrêté, est descendu de cheval. Nous étions entre une congère et un fjord. Au milieu, un formation rocheuse au formes arrondies. De la neige, de la glace, pas un once de végétation.
Il s'est arrêté et m'a dit ces mots :

[i]"Vois, Allie, vois. Ici repose le glorieux passé d'Alaric. C'est ici qu'est né l'étranger. Ici qu'il a apprit les armes, ici qu'il a aimé, ici qu'il est devenu père. Sous ces rochers que tu vois là-bas, il a juré fidélité à son épouse jusqu'à ce que la mort les sépare, ce qu'elle a fait six hivers plus tard, lors du Grand Froid. Là il y avait une source, une source sacrée à l'époque ou les dieux n'étaient pas le mal absolu. Une source qui assurait longévité à ceux qui la buvaient. Elle protégeait de l'âge, pas de la mort. Vois-tu j'ai vu des hommes plus jeunes que moi qui avaient besoin d'une cane pour marcher. Moi j'ai aujourd'hui soixante-quatre années, et je n'ai besoin de personne pour me vêtir de mon armure, monter à cheval, lever mes haches et courir la lande. Mon grand père a vécu cent-seize ans avant de tomber au combat. Alors oui, je suis de ceux qui croient que les Dieux ne sont pas le mal, oui, je suis de ceux qui croient en Leurs pouvoirs. Et je vais te dire une chose, Allie. Depuis que les hommes ont tourné leur dos aux Dieux, le vrai mal, celui qui ronge le cœur comme celui qui sort des ténèbres, n'en est que plus puissant.
Ici est ma terre. Ici était ma ville. Ici, prise dans la glace, repose mon histoire, et celle des Alukars. Pour l'éternité."[/i]

Puis il a fait un signe étrange avec ses mains, il est remonté sur son destrier et nous sommes repartis. Je n'ai rien osé dire, il avait dans la voix ce ton qu'il avait parfois, celui qui empêchait quiconque de parler; ou plutôt qui faisait ressentir l'immense vacuité que pourraient être les mots. Nous n'avons plus parlé de la journée.

Je me suis toujours demandé s'il avait du ressentiment contre quelqu'un, ou quelque chose, pour ce qui était arrivé à sa région… Lorsque le ciel s'est obscurci et que le froid a recouvert une partie du monde, c'est son monde à lui qui a été détruit, recouvert par le givre. Lorsque les dieux ont envoyé leur punition du ciel, c'est sa vie qui a basculé, les siens qui sont morts. Il aurait pu blâmer les prêtres fous, ceux qui avaient joués avec le pouvoir des dieux, il aurait pu blâmer les dieux, qui avaient manqué de détruire le monde, il aurait pu blâmer les hommes qui avaient prouvé leur égoïsme en ne s'aidant qu'eux-mêmes, il aurait pu blâmer le destin, le hasard, le mal, lui-même, que sais-je ? Mais non. Il n'a jamais blâmé personne, pas qu'il m'en ait dit en tout cas. "C’est arrivé, c'est tout." voilà la seule réponse qu'il me donnait. Fataliste, crue.
Tel était Alaric.

Les braves gens ne cessaient de se demander où il allait, ce qu'il faisait, quel but il poursuivait… C'est pour découvrir cela que je l'ai suivit, il y a bien longtemps.
Ces braves gens pensaient qu'il était chasseur de prime, ou mercenaire. Qu'il allait d'employeur en employeur pour qu'on lui dise qui aller intimider, qui aller rançonner, qui aller tuer.
La vérité est, bien entendu, tout autre.
Mais il n'a pas été aisé de le découvrir.

Laissez-moi vous raconter comment j'ai fait la connaissance d'Alaric, il y a onze ans de cela. Il avait alors un peu plus de cinquante ans, bien qu’il n’en paraisse que la trentaine avancée, et moi une vingtaine. Il n'était alors qu'un étranger sans nom.

Chapitre 2

Nous étions au début du printemps, l'hiver prenait encore son temps pour repartir d'où il venait. Du toit des chaumines commençaient vaguement à fondre les stalactites. Quelques perce-neige égayaient le paysage, mais tout était encore sous le coton moite de la neige, les bruits étouffés, les nuits froides et les jours d'une étonnante clarté.
Je sortais à peine de l'Académie, mes quelques facilités pour l'invocation m'avaient permis d'obtenir rapidement un premier contrat : en tant que représentante de l'académie et intendante, je faisais partie de la suite du chevalier Garon et de sa promise, qui étaient partis dès la fin de l'hiver de leur castel au sud des Marches pour regagner le nord, qui allait redevenir plus facilement vivable avec la bonne saison.
Je ne saurais même plus vous dire quel était le nom de la bourgade où nous faisions halte. A vrai dire je ne me souviens pas de grand chose de cette époque, tant j'ai vécu de choses depuis. Une tête de sanglier empaillé servait d'enseigne à l'auberge, il y avait des bouclier au mur et du foin au sol, voilà peut-être les seuls détails dont je me souvienne. Ce devait être la huitième auberge dans laquelle nous nous arrêtions depuis notre départ, j'avais cessé de trouver fascinant ces petits bourgs et ces hameaux.
Le chevalier Garon était un homme assez courtois, et plutôt bien fait. Son plus grand défaut était son manque d'éducation en matière d'humilité. Ayant toujours eu une vie facile, et n'ayant jamais à souffrir du manque de quoi que ce soit, il considérait que les nobles tels que lui n'avaient pas de compte à rendre au peuple.
Il n'était pas méchant, il traitait bien ses gens et le personnel, tout comme il restait courtois face à ceux qu'il pouvait croiser… Mais pour lui, il était supérieur à tout cela, par nature; il ne pouvait pas concevoir qu'un membre du peuple puisse lui être meilleur que lui en quoi que ce soit, aussi attendait-il du respect de ces derniers.

Mais dans l'auberge où nous avons fait halte, en fin d'après-midi, là avait fait halte Alaric.
Les pages m'avaient rapporté alors que nous nous installions qu'un cheval géant, noir et gris, était dans l'écurie. Ils n'avaient jamais vu telle bête, immense, musculeuse. Ils poussèrent la curiosité à examiner sa barde, à coté de la stalle: plaques et maille, renforts de cuir et fourrures, haches de bataille, bouclier de bois.
Intriguée, j'ai été tentée d'aller voir la bête par moi-même, mais nous étions en train de nous installer, et il aurait été d'un mauvais genre que l’intendante quitte la suite et ses bagages pour aller faire un tour à l'écurie.

Après quelques minutes à faire installer les affaires dans les chambres, je suis descendue dans la salle commune avec Telion, l'écuyer de Garon, pour faire préparer la table. Alors que nous donnions nos instructions à l'aubergiste, visiblement très tendu à l'idée d'accueillir de la noblesse, mon regard s'est porté vers l'une des fenêtres.

Accolée à cette dernière, une table. Attablé à cette dernière, un homme.
Alaric.
Il avait posé sur le dossier de sa chaise sa cape de fourrure, son casque de fer ouvragé était posé sur la table, et contre les pieds de cette dernière, tenaient deux haches de guerre et un bouclier de bois ferré. Il nous tournait le dos, je ne voyais que ses longs cheveux qui lui tombaient sur les épaules. Très large, massif, il devait également être grand. Il portait une armure de voyage, cuir bouilli épais et maille. Devant lui fumait un potage. Il semblait absorbé par ce qui se passait dehors, soit absolument rien pour autant que je pouvais en juger de là où je me tenais.
Faisant l'analogie rapidement, j'en déduis que c'était là le propriétaire du grand cheval de l'écurie. Et instinctivement, je fus partagée entre la peur et l'attirance. Peur d'un homme pour qui tuer devait être plus ou moins le métier, et attirée par cet homme qui était absorbé par la contemplation d'un paysage recouvert de neige, préférant perdre ses yeux dans le lointain que dans le décolleté généreux de la serveuse qui récurait énergiquement une table non loin de la sienne –ce qu'avait fait l'écuyer de Garon avec un intérêt visible, fasciné qu'il était par cette poitrine en mouvement-. Il émanait de cet homme une certaine forme de noblesse, malgré qu’il soit attifé comme un mercenaire du nord

J'ai du m'arracher à la contemplation de cet être étrange pour régler les derniers détails avec l'aubergiste, après quoi il me fallu remonter à l'étage pour me préparer pour le repas.

Lorsque nous sommes redescendus après nos ablutions, Il était toujours là. Son potage avait disparu, remplacé par une chandelle allumée, un livre, et une chope. Il lisait, une main retenant son front, l’air aussi calme et détendu que s’il était dans un jardin à profiter du soleil.
Quelques autres clients était là aussi, qui se tenaient tous à distance respectable de l'étranger, et de la grande table que l'aubergiste avait dressé près de la cheminée où rôtissait un cochon de lait.
Lorsque le chevalier et sa promise, Melia, descendirent en tête de leur suite, tout les client se levèrent et firent une profonde, bien que maladroite, révérence.
Bien entendu, l'homme de la fenêtre, qui tournait toujours le dos à l'assemblée, n'esquissa pas un mouvement, toujours absorbé par son livre.
J’ai compris plus tard qu’il était parfaitement conscient de la scène.

Garon s'en rendit évidemment compte et en pris ombrage, il resta debout, les yeux fixés sur le dos d'Alaric, pendant un certain temps, attendant qu'il se lève.
Sentant que la tension montait, Melia désamorça la situation en s'asseyant en première. Elle n'était pas la plus fine des femmes, mais son esprit d'à propos était aiguisé, et pour être d'un extraction assez basse, elle ne savait que trop comment pouvait dégénérer ce genre de situation dans une petite auberge de campagne. Son propre frère en avait fait les frais, laissant un œil dans une bagarre de taverne. Bien sûr la cicatrice devînt par la suite une glorieuse blessure de combat lors d'un duel pour l'honneur d'une dame, l'histoire appartient aux vainqueurs. Le mauvais coup de bouteille était devenu une estocade à l'épée, la fermière une dame, une main aux fesses son honneur, et le soûlard un valeureux adversaire. Souvenez-vous toujours que l'histoire racontée n'est pas forcément l'histoire telle qu'elle fut.

Quoiqu'il en soit, c'est avec un regard noir sur l'étranger et un silence de plomb que le chevalier entama son repas.
Melia et la suite, moi-même incluse, avons ensuite fait de notre mieux pour faire oublier l'incident, multipliant les sujets de conversation à mesure qu'on nous amenait plats et boissons.
L'aubergiste avait demandé à ses fils de jouer un peu de musique pour égayer la soirée.
Vers le dessert, et sous les demandes incessantes de l'assemblée, j'ai même invoqué quelques esprits follets pour qu'ils dansent sur la table. Des petites fées et de petits lutins, hauts comme des pommes, commencèrent donc une joyeuse sarabande entre les plats; ce qui ne manqua pas de fasciner toute la salle –à part bien sûr Alaric, toujours plongé dans son livre, je ne savais pourquoi à l’époque, mais je me suis sentie vexée- qui applaudirent entre deux cris de surprises, des "hoo" des "haa" et des "bravo dame magicienne".
Magicienne… J'aurais fait la même chose sans être dans la suite d'un chevalier, c'est sorcière qu'ils m'auraient appelée. Ils m'auraient accusé de je ne sais quel malheur, mauvaise récolte, vache maigre ou ongle incarné, avant de me chasser à coup de pierre ou de me brûler. Mais là, j'étais une "dame magicienne".
Cela avait marché, Garon, au fur et à mesure du repas, s'était détendu, et semblait avoir oublié l'incident.
Mais ce n'était qu'apparence. Garon n'avait en rien oublié l'affront.
Après le dessert, chacun se détendit comme il le souhaitait, certains jouaient aux cartes, d'autres continuaient à discuter, ou à faire un peu de musique.
Lorsque l'aubergiste vînt proposer ses liqueurs pour digestifs, le chevalier lui demanda, parlant suffisamment fort pour que toute la salle puisse l'entendre :

« Dites moi, mon brave, qui est donc ce manant près de la fenêtre, qui doit être simple d'esprit ou criminel pour ne point montrer respect à un membre de la noblesse ? »
L'aubergiste se tordit les mains, incapable de répondre. Il se sentait responsable de l'affaire, mais ne savait absolument pas comment gérer le problème
« Et bien Monseigneur, je.. Je ne… Je-je ne sais pas exactement, il est arrivé quelques heures avant vous. Un client de passage, un étranger. »
Garon haussa les sourcils avant de rire
« Et bien ma foi, ton auberge est bien mal fréquentée, aubergiste. »
Au bord de la crise de nerf, le pauvre homme bredouilla quelques excuses, cherchant une justification, alors que Melia allait porter secours au pauvre homme, c'est la voix d'Alaric qui emplit la salle, calme et puissante.
« -Laisse donc ce pauvre homme tranquille, "chevalier". » l'intonation qu'il avait usée était teintée de mépris ; tout autre bruit cessa aussitôt, seul le crépitement du feu accompagnait le battement de nos cœurs. Le visage de Garon affichait un mélange de stupeur et de colère, ses yeux écarquillés était rivés dans le vide, il les tourna lentement vers la table près de la fenêtre. La provocation était cuisante, évidente. Mais loin d’être terminée. L’étranger poursuivit, sans lever les yeux de son livre :
« Est-ce là donc le seul moyen que tu as de te sentir supérieur que de brusquer sans tact les braves gens qui ne peuvent te répondre à cause du symbole que tu porte sur ton tabard ? Est-ce donc là la noblesse d'épée ? Si ton grand père était un homme de courage, un véritable chevalier, et un grand ami, tu n'est qu'un morveux à qui on a confié une épée qui a plus de valeur que sa propre existence."

Le silence qui emplit la salle était tellement chargé de tension que j'eus la chair de poule. Melia était tétanisée, connaissait trop bien les accès de colère que pouvais avoir son futur époux lorsque l'on attaquait son honneur. D'autant plus que ce que disait Alaric était la vérité : si son grand père s'était distingué par son expertise de la bataille, Garon lui n'avait jamais participé à de véritables combat.
Le chevalier avait les traits déformés par la colère, ses hommes d'armes se relevèrent, la main sur la garde de leurs épées, sentant qu'ils auraient bientôt à s'en servir. Le chevalier lui même se redressa violemment, renversant sa chaise dans le mouvement, il pointait un bras accusateur sur Alaric, serrant les dents avec force.

« Qu'as tu dis, misérable porc ? Tu souhaites donc mourir ? » La voix de Garon était éraillée, déformée par la rage.

Alaric soupira, et se leva lentement de sa chaise avant de se retourner. Ses yeux d'un vert sombre, et son visage dur ne trahissait aucune autre émotion que le calme emprunt d'une pointe de lassitude. Il mesurait plus de deux mètres, large comme un bœuf, ses mains était grandes comme des battoirs.

Il regarda le chevalier d’un œil critique, si les mains du noble tremblaient d’énervement, la montagne Alaric était un îlot de calme dans l’effroyable tension de l’auberge. Sa voix résonna de nouveau, son ton était implacable, sans hésitation. Une de ses main était posée sur la table, de l’autre il tenait son ceinturon.
« Mourir ? Non, ce n'est pas prévu. Qui me tuerais ? Toi ? Tu te blesserais avec ta propre lame… Quand à tes hommes, ils ne parviendraient pas à me toucher. Ils savent se battre, pour l’avoir déjà fait contrairement à toi, mais pas assez pour me vaincre. Et cette histoire ne les concerne pas, ils ne devraient même pas avoir à te protéger, ta vie ne vaux rien, pour personne. »
Il marqua une courte pause, regardant le chevalier comme un maître regarde l’écolier, pour vérifier s’il connaissait l’évidence qu’il venait de prononcer, ou s’il allait falloir lui expliquer. Il prit le parti de l’explication.
« Un tas de fange de plus, un épouvantail de plus. Tu es mort depuis longtemps et tu ne le sais même pas. Tu aurais pu devenir quelqu'un, comme ton grand père… Mais ton père a sombré, t'emportant dans sa chute. Demoiselle Melia, je ne saurais que vous conseiller de ne pas convoler avec cette engeance, il achèverait votre lignée, dont je regrette la déchéance actuelle, ourdie par quelques sombres pantins comme votre fiancé.

- Il suffit ! Hurla Garon, tellement hors de lui que les veines autour de ses tempes étaient gonflées. Qui es-tu ? Décline ton nom avant de mourir !
- Mon nom est Alaric. Et je te cherchais, vaurien, pour te renvoyer pleurer dans le giron putride qui t'a vu naître.
Garon dégaina son épée, les runes magiques qui étaient gravées à sa surface se mirent à luire, comme le front du chevalier qui était en sueur tant il était en colère.
- Et bien tu m'a trouvé ! Gardes ! Saisissez cet homme ! »

Les trois hommes d'armes craignaient visiblement que cet ordre finisse par fuser. Ils n'avaient aucune envie de s'attaquer au colosse. Moi j'étais figée sur place, j'ai eu le malheur de croiser le regard d'Alaric alors qu'il parlait, et il me l'avait rendu. Je ne pouvais plus bouger, paralysée par un mélange de peur et de fascination. Les gardes hésitèrent, se regardant les uns les autres, cherchant le courage dans le nombre.
Alaric repris la parole, toujours du même ton calme et égal :
« Tellement prévisible, incapable de te servir de ton épée pour t'occuper d'un homme désarmé, tu en appelles à tes gardes. Moi qui pensais que les chevaliers étaient un peu plus braves que des jeunes filles, j’imagine que cette époque est d’ores et déjà révolue. »
La pique assassine fit parfaitement mouche.
Dans un cri de rage, Garon fondit sur Alaric, son épée tenue à deux mains au dessus de la tête. Le colosse attendit sans esquisser un mouvement que le chevalier couvre les quelques mètres qui les séparaient, puis il fit un simple pas vers lui, rentrant dans la garde de Garon avant que celui-ci n'abatte sa lame. De sa seule main gauche, le colosse saisit  les deux poignets de son adversaire, qui cria lorsque ses articulations craquèrent, et lâchant la précieuse épée au sol. De la main droite, Alaric enserra la gorge du jeune homme et le souleva de terre aussi simplement que si c'était un fétu de paille. Garon étouffait, hoquetait, alors que ses pieds battaient dans le vide. Alaric avait lâché ses bras, et le soulevait du sol à une seule main. Il lui parla d'un ton assurée, sans hâte, presque sans émotion. Le visage de l’étranger était toujours ce masque de calme et de lassitude, ses yeux d’un vert profond ne montrait aucune pitié, aucune compassion, mais une détermination mesurée.

« Ton enveloppe va mourir ici, ce soir. Je regrette que tu ne saches rien de ta nature, tu ne comprends pas pourquoi tu dois disparaître. Aussi vais-je t'éclairer. Elinor, ta mère, est une créature maléfique, que l'on nomme, entre autre, Charmeuse. Elle use de ses facultés de métamorphoses et de pouvoirs magiques pour embrumer l'esprit. Elle a supprimé la véritable Elinor il y a des années, pendant que le mariage était arrangé, et a pris sa place. C'est donc une telle créature qu'a fécondé ton père lors de leurs premières nuits. Elle a ensuite usé de divers charmes, poisons, rituels, pour pervertir ton géniteur. Sais-tu que tu as eu deux sœurs ? Elle les a cachées, avec la complicité de ton père, pour en faire des Charmeuses. Je n'en ai abattu qu'une pour le moment, mais je trouverais l'autre et lui ferais subir le même sort, puis ce sera au tour de ta mère et enfin de ton père. Je commence par toi, puisque tu étais le plus simple à atteindre. Tu ne sais rien de ta nature, mais tu es corrompu. Petit à petit, cette nature maléfique prend le pas sur toi. Tes colères deviennent de plus en plus violente, ton orgueil de plus en plus démesuré. Elle attend que tu sois prêt avant de t'instruire la sorcellerie, pour enfin diriger toute ta lignée à venir. La jeune Melia aurait du être remplacée la semaine dernière, par une de tes sœurs. C'est cette dernière que j'ai abattue. Sa tête est sur une pique non loin du village de Karis-bourg, où vous avez fait halte il y a cinq jours. Oui, tu as saisi, tu aurais épousé ta propre sœur. Ton fils aurait fait la même chose, ou marié sa tante, jusqu'au bout de votre lignée maudite. C'est donc ici que ton chemin s'achève. Adieu, Garon. Je devais bien cela à ton grand père. »

Et dans un bruit atroce qui manqua de me faire rendre mon dîner, Alaric rompit le cou du chevalier, sa tête prit un angle anormal, ses jambes s'agitèrent une dernière fois de quelques soubresauts avant de chuter sur le sol lorsque le colosse le lâcha enfin.
Ainsi prit fin la vie du Chevalier Garon, mon premier employeur.
Je suis persuadée que s’il n’y avait pas eu d’assemblé, que s’ils avaient été seuls, Alaric n’aurait rien expliqué à Garon, il l’aura abattu sans autre forme de procès. Son discours ne servait qu’à faire comprendre à l’assemblée pourquoi il tuait ainsi le chevalier.
J’ai suffisamment côtoyé Alaric pour savoir que quand il considère qu’il doit tuer quelqu’un, lui expliquer le pourquoi du comment n’adoucit en rien le fait de mourir. Au contraire, il tue vite, ne laisse pas le temps de réfléchir ou d’avoir peur. Je crois que c’est comme ça qu’il a toujours souhaité mourir. Et c’est comme ça qu’il est mort. Par surprise, sans le savoir avant les dernières secondes.
Il est mort comme il a vécu, en solitaire.

La salle entière était mortifiée, personne n’osait bouger. Alaric s’est penché sur la dépouille, fit quelques gestes des mains en psalmodiant. Il parlait en Alurak, une langue que je ne connaissais pas à l’époque. Mais pour l’avoir maintes fois entendu réciter cette prière sur le corps de ces défunts adversaires, elle signifiait ceci :

« Tu étais ténèbres et retourne à l'abîme, ce monde n'est ni pour toi ni pour les tiens, il appartient aux mortels, aux dieux, et au peuple oublié. Ne hante plus cette terre, que la noirceur de ton âme s'échappe dès maintenant de ce corps, et qu'il retourne à la poussière. Si tu reviens, tu me trouveras, et je te traquerais, toi, les tiens, et toute ton engeance. Prends garde, car je ne suis que le premier, prends garde, car la horde est derrière moi, prends garde, car votre temps est révolu. »

Au terme de ces paroles, le corps de Garon fut pris de soubresaut, les gens de la salle reculèrent tous d’un pas avec un cri de stupeur. C’était comme si le chevalier était vivant et pris d’une crise de spasmes, avec le désagréable détail de son cou tordu en plus. Ses veines grossirent et devinrent noires, des volutes d’un mauve sombre s’élevèrent du cadavre, avant de se dissiper dans le néant. Le corps demeura alors immobile, crispé, les doigts recroquevillés comme des serres, les yeux exorbités, les dents découvertes.
Le colosse se redressa alors, ramassant l’épée qui était encore au sol. Dans le silence complet de la salle, il s’approcha de Melia, et posa la lame devant elle, sur la table, avec beaucoup de soins.

« J’aimerais que vous l’ayez, à présent. Évitez la famille Garon d’ici à ce que j’en ai terminé avec elle. Bon courage, demoiselle.»
Et sans un mot de plus, il ramassa ses affaires près de la table, laissa deux pièces d’argent sur le comptoir, et s’en alla dans la nuit.

Voilà ma première rencontre avec Alaric, et il m’a fallu quelques minutes après son départ pour parvenir à réfléchir clairement.

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